Les batailles d'Artois 

 

par le colonel André MERVAUX (†)

 

Ancien vice-président à titre militaire de

l'Association du monument de Notre-Dame de Lorette

 

 

   Aux lendemains de la victoire de la Marne, le 13 septembre 1914, Français comme Allemands étaient épuisés et dans l’incapacité de poursuivre leur effort.

   Les stratèges des deux Grands Etats-Majors conçurent et mirent en application une nouvelle idée de manœuvre stratégique et tactique, déborder l’ennemi sur son aile encore libre afin de le prendre à revers, l’encercler et l’anéantir.

 

   A cet effet, et pour reprendre pied dans notre région, délaissée après le repli sur Amiens des groupes de cavalerie (généraux Connau et Mitry) et des territoriaux du général Damade, le Grand quartier général du général Joffre décide la formation dans le triangle Amiens, Doullens, Saint-Pol d’une Xème Armée : elle rassemblera des divisions ramenées du front de Lorraine et des formations créées sur place. Sous le commandement du général de Maud’huy, avec PC à Doullens, elle comprendra le corps d’armée provisoire (CAP) du général d’Urbal, formé des divisions Barbot (sans numéro) et Fayolle (70ème) et le XXIème Corps du général Maistre, soit les 43ème, 45ème et 13ème divisions d’infanterie des généraux Lanquetot, Drude et Cadoudal. Elle devra déborder l’aile droite allemande.

 

Maud huy

 

Général de Maud'huy

 

Durbal

 

Général d'Urbal

 

   De son côté, le chef des armées impériales, le général von Falkenhayn, dépêche par voie ferrée à travers la Belgique, la VIème armée du Kronprinz Rupprecht de Bavière. Elle se compose du IIème corps bavarois, du Ier corps de réserve bavarois, non encore engagés, du Ier corps saxon, de la brigade de Hesse-Nassau, du XIVème corps de réserve badois, du corps de la Garde prussienne relevés du front de Lorraine. Leurs destinations sont Douai et Cambrai et leur mission de "déborder l’aile gauche française".

 

Erich von falkenhayn

 

Général von Falkenhayn

 

   Ces mises en place, notamment les mouvements par voie ferrée, nécessitent un certain délai.

   Cela nous permet d’étudier l’équipement des belligérants avant leur entrée en lice.

 

 

FORCES FRANÇAISES

  

   Le Corps d'armée (CA), de recrutement local homogène, comprend :
   

     - un état-major
     - deux divisions d'infanterie: d'active (DI), de  réserve (DIR) ou territoriale (DIT)
     - des éléments organiques : 

          - un régiment de cavalerie à quatre escadrons (709 hommes, 706 chevaux)
          - quatre bataillons d'infanterie
          - trois compagnies de génie
          - quatre groupes d'artillerie à trois batteries de quatre canons de 75mm et cinq ou six canons de 105 ou 120 longs
          - des services de l'intendance,
          - un service de Santé

 


   La division d'infanterie

         Sa composition varie qu'elle soit d'active, complétée éventuellement de réservistes, ou de réserve, c'est-à-dire mise sur pied à la mobilisation à l'aide d'un noyau actif :
        

          - Etat-major et QG : dix-huit officiers
          - Infanterie :

DI : deux brigades de deux régiments à trois bataillons de quatre compagnies

DIR : deux brigades de trois régiments à deux bataillons de quatre compagnies

 

          - Cavalerie :

DI : un escadron détaché

DIR : un groupe à deux escadrons de réserve  

 

          - Génie :

DI : une compagnie de sapeurs mineurs

DIR : une compagnie de sapeurs mineurs, une d'équipage de ponts, une de Parc du génie
          un détachement télégraphiste

 

          - Santé :

DI : un groupe de brancardiers

DIR : un groupe de brancardiers, une section d'hospitalisation, une section sanitaire automobile (deux ambulances)

 

          - Intendance :

DI : un groupe d'exploitation

DIR : un groupe d'exploitation, un parc bétail, un convoi administratif à deux sections

                              une section ravitaillement en viande fraîche  

 

          Effectifs globaux :

 

   DI : 377 officiers, 15578 sous-officiers et hommes de troupe, 2653 chevaux et 524 voitures
 

   DIR : 444 officiers, 17286 hommes, 4723 chevaux, 965 voitures.

 

 

   Le fantassin porte la tenue immortalisée par « l’ami Bidasse » : képi et veste bleu marine foncé sur un pantalon garance serré aux chevilles par de petites guêtres de cuir noir surmontant des brodequins à semelles cloutées. Le chasseur, alpin ou à pied, est doté d’un ensemble bleu marine, y compris le béret.

 

Uniforme 1914

 

Soldat d'infanterie 1914

 

   Le fusil Lebel avec sa baïonnette cruciforme, ou encore le vieux Chassepot avec son « coupe-chou », constitue l’armement individuel. L’armement collectif se limite, par bataillon, à 2 mitrailleuses Hotchkiss à tir lent alimentées par des chargeurs métalliques de 25 cartouches de 7,5 mm, identiques à celles des Lebel.

 

Fusil lebel

 

Fusil Lebel

 

 

Hotchkiss

 

Mitrailleuse Hotchkiss

 

   Les cavaliers arborent les tenues colorées et chamarrées spécifiques de leur subdivision d’arme : cuirassiers, hussards, dragons, lanciers, chasseurs à cheval. Les cuirassiers portent en plus une cuirasse rutilante au soleil. Ils sont armés, suivant leur spécialité, de sabre, mousqueton de cavalerie (7,5 mm) et (ou) de lance.

 

Uniforme cuirassier 1914

 

Cuirassier 1914

 

   Tous constituent d’excellentes cibles pour un tireur ennemi.

   L’artillerie divisionnaire comprend un régiment à trois groupes de trois batteries de quatre canons de 75 mm et, au corps d’armée, on trouve un régiment semblable et quelques pièces de 120 ou 155 mm.

 

Canon de 75

 

Canon de 75 mm

 

 

FORCES ALLEMANDES 

 

   L'Armee Korps d'active (AK) ou de réserve (AKR) constitue également l'élément de manœuvre essentiel des Commandants d'armée. L'homogénéité de son recrutement, bavarois, badois, saxons, hessois, prussiens, est aussi un atout important.

   Son état-major et quartier général dispose de :

- deux divisions d'infanterie

- un bataillon d'artillerie lourde :

AK : seize obusiers de 150 mm et quelques 120 pris à l'ennemi                                                                
AKR : huit obusiers de 150 mm

- un bataillon de Pionier (sapeurs-mineurs)

D'active (DI)  ou de réserve (DIR), la division d'infanterie appartient au corps de bataille et peut mener des missions identiques. Elle se compose :

- d'un état-major et de services administratifs

- de deux brigades à deux régiments de trois bataillons à quatre compagnies et une section de deux mitrailleuses Vickers alimentées par des bandes chargeurs en toile de 500 cartouches, de même calibre que le Mauser, à une cadence maximale de 250 coups/minute. Elle comporte au total environ 13000 hommes.                                 
- de quatre escadrons  de reconnaissance (uhlans, dragons)
- de deux régiments d'artillerie, soit 12 batteries de 54 canons de 77 mm et 18 canons de 105mm

- d'une compagnie de Pionier

- d'unités des services.

 

Canon de 105 allemand

 

Canon de 105 mm

 

L'effectif total de la division est de 16650 personnes.

 

   Fantassins et cavaliers sont équipés d’une tenue de campagne « feldgrau », d’où leur surnom de « vert de gris », leur permettant de se confondre un peu avec l’environnement. Ils sont coiffés d’un casque en cuir bouilli gris ou noir surmonté d’une pointe métallique ou d’une boule ; une petite plate-forme carrée caractérise les uhlans à la triste renommée depuis 1870. Un couvre-casque de toile gris-beige les rend moins visibles.

   Les fantassins sont équipés du fusil 7,5 mm Mauser avec la baïonnette « coupe-chou ». Les cavaliers sont armés du sabre, du mousqueton Mauser ou (et) d’une lance.

Fusil mauser

 

Fusil Mauser

 

   Grande différence avec leur adversaire : chaque bataillon d’infanterie comprend une section de 8 mitrailleuses Maxim à tir rapide alimentées par des bandes-chargeurs en toile de 500 cartouches de 7,5 mm.

   Un régiment à trois groupes de quatre batteries de quatre canons de 77 mm (moins performant sur le plan technique que le 75 mm) constitue l’artillerie divisionnaire qui peut compter sur l’appui de huit pièces de 105 ou obusiers de 155. Leur approvisionnement est normal. Le corps d’armée dispose de 16 obusiers de 150 et éventuellement de quelques pièces de 210.

   Ces différences expliquent en partie les bilans meurtriers des futurs combats.

 

   Voici les abréviations qui seront utilisées dans la suite de ce texte :

 

- CA : Corps d’armée français

- BCP : bataillon de chasseurs à pied

- RI : régiment d'infanterie

- AK : Corps d’armée allemand

- bAK, bAKR : Corps d’armée active, de réserve bavarois

- bDI, bDIR : Division d’infanterie et de réserve bavaroise

- RKR : Régiment de cavalerie de réserve allemand 

 

La Bataille d’Arras

 

   Sitôt débarquées à Arras et Lens, les 30 septembre et 1er octobre, les divisions Barbot et Fayolle doivent se porter à la rencontre d’éléments ennemis arrivant de Douai et Cambrai, couverts vers le nord par le groupe de cavalerie (trois régiments, RKR) du général von Marwitz qui agit en direction de Lille. Les contacts s’effectuent sur une ligne allant de Hénin-Beaumont à Mercatel, jalonnée par Arleux, Monchy-le-Preux, Wancourt, Guémappe.

 

A la division Barbot

 

   Le cours du Cojeul et les hauteurs de Monchy-le-Preux constituent la ligne sur laquelle la division Barbot doit contenir l’adversaire qui appartient au Ier corps de réserve bavarois (général d’infanterie Ritter von Fasbender). Mais au soir du 1er octobre, le 97ème RI voit des flammes s’élever de Guémappe et Wancourt qu’il devait occuper, tandis que le 159ème RI, ancien régiment du colonel Barbot, se heurte aux allemands aux abords de Monchy-le-Preux et engage un combat de rues, âpre et sanglant avec de nombreux corps à corps, qui ne prendra fin qu’au matin.

   Ce même jour, les 19ème DI (général Bailly) et 20ème DI (général Anthoine) appartenant au Xème CA du général Wirbel, s’engagent depuis Mercatel en direction de Neuville-Vitasse et Hénin-sur-Cojeul pour établir la liaison avec les chasseurs alpins qui doivent tenir ces points. Elles poursuivent leur action le lendemain alors que, surgies d’un brouillard très épais, des forces très supérieures en nombre lancent une attaque sur tout le front de la division Barbot. Le 97ème RI qui, au centre de la division, avait entrepris une opération sur Wancourt, doit reculer, contraignant le 159ème RI à se rétablir entre la chapelle de Feuchy et le village éponyme.

   Durant la journée du 3 octobre, le 97ème RI, qui a perdu 50 % de ses effectifs, remonte en ligne avec les divisions du Xème CA (Wirbel) le long de la route de Mercatel à Arras (cf ci-dessous).

   Les chasseurs à Neuville-Vitasse sont aussi très éprouvés. Réduite à 3500 fusils, soit environ le quart de ses effectifs, la division se maintient entre la chapelle de Feuchy et le Point du jour, pour ne pas abandonner Arras.

  
A la division Fayolle

 

   Sous la pression de la 5ème DI (b. DI), qui forme l’aile droite du Ier Corps d’armée de réserve bavarois (général d’infanterie Ritter von Fasbender), la division Fayolle s’est aussi repliée pied à pied à travers la Gohelle, livrant chaque fois que possible de sanglants combats retardateurs avant d’être contrainte à abandonner du terrain et successivement les villages de Méricourt, Arleux-en-Gohelle, Bailleul-sire-Berthoult, Willerval, Farbus, Avion. En cette journée du 6 cotobre, son chef pense la reformer sur la chaussée Brunehaut à hauteur de Mont-Saint-Eloi tandis que Lens, Avion, Vimy et Givenchy sont occupés par le groupement interarmes du général Hurt, de la 5ème DI bavaroise (général Kress von Kressenstein), précédée et éclairée par le 5ème régiment de cavalerie de réserve.

   Or le général Foch a décidé que conserver Arras était indispensable pour l’offensive dont il avait le projet. Et comme lui, le Kronprinz Rupprecht, abandonnant son plan de négliger Arras qui, une fois encerclé, tomberait comme un fruit mûr, s’était rendu compte que la maîtrise de la côte 107 entre Ecurie et Anzin-Saint-Aubin dominait la ville et donnait des vues non seulement sur la cité mais surtout sur la route de Saint-Pol, seule voie de ravitaillement des armées françaises. Il avait résolu de s’en emparer.

   Dès le soir de son arrivée, le 4 octobre, la 45ème DI (général Drude) s’engage dans une opération de nuit entre Roclincourt et Ecurie, en liaison avec les divisions Barbot et Fayolle. Turcos (tirailleurs) et Zouaves vont se battre comme des lions : attaques et contre-attaques souvent précédées d’explosions de mines souterraines. Ils s’opposent à des unités du Ier Corps d’armée de réserve bavarois (b. AKR).

   Mais le Groupement Hurt qui en forme l’aile droite, partant de Souchez et Givenchy, aborde dès le 5 octobre au matin la montée vers la chapelle de Lorette tandis que la 5ème b. DIR s’avance vers Carency qu’elle occupe dès midi. Deux bataillons du 6ème régiment d’infanterie de réserve (b. RIR) s’y installent le lendemain. Le 10ème b. RIR, quant à lui, occupe Souchez.

   Le 8 octobre, le général Maistre, commandant le XXIème CA, lance une contre-attaque : renforcée des 17ème et 20ème BCP, la 13ème DI du général Cadoudal opère sur la direction Noulette-Chapelle, mais est rapidement stoppée. La 43ème du général Lanquetot, avec l’appoint du 149ème RI et du 1er BCP, agissant sur une direction ouest-est, vise aussi la reprise du sanctuaire. Après quatre jours de violents combats, le bois de Bouvigny, les trois premiers éperons et la chapelle sont repris. Des positions assez sommaires sont aussitôt aménagées : ce sont tout d’abord des trous individuels parfois reliés entre eux. 

 

Le Kaiser à Arras

 

   Le 21 octobre, en présence du Kaiser Guillaume, un déluge de fer et de feu provoqué par d’importants tirs de pièces lourdes de 150, 210 et même de 280 mm s’abat sur Arras, dont le beffroi s’effondre à 11 heures 15. C’était le prélude à une attaque d’envergure qui allait se poursuivre durant trois jours, entre la ferme Chanteclerc et la Scarpe. Les 159ème RI, 57ème et 61ème BCP se fondent dans les ruines de Saint-Laurent soumis également à un bombardement intensif. Nommé chef de Brigade, le colonel Mordacq multiplie les contre-attaques au cours desquelles les commandants Minart du 159ème RI et Besson du 61ème BCP sont tués. Vingt-trois officiers du 159ème RI sont hors de combat. Au soir du 23 octobre, l’ennemi tient Saint-Laurent en quasi-totalité, la ferme Chanteclerc et contrôle la route qui la relie à Saint-Laurent. Cependant, Barbot et Mordacq sont d’accord pour tenir, résister, contre-attaquer et se faire tuer sur place : impressionné par l’énergie et l’abnégation du 159ème RI, l’Allemand n’ose pas faire un effort de plus. Une nouvelle fois Arras est sauvée.

 

 

Arras cathedrale

 

 

   Le 24 octobre, un régiment de tirailleurs mis en renfort lance une contre-attaque à 19 h à la suite d’une préparation d’artillerie déclenchée à 18 h 30. Depuis les Quatre Vents, on perçoit des clameurs et des sonneries de clairon ; puis c’est un grand silence. Le jour venu, une longue file de blessés, épuisés mais qui n’ont pas abandonné leur coupe-coupe, reflue, désorganisée après avoir laissé sur le terrain de nombreux morts. Leurs officiers ont été tués en abordant la tranchée adverse. Privés de leurs chefs, les tirailleurs ont erré toute la nuit et se sont battus à l’aveuglette.

   Pendant ce temps, la 58ème DI de réserve (général Bolgert) venant de Montdidier est arrivée le 14 octobre. Affectée en renfort du XXIème CA du général Maîstre, elle opère en direction de Vermelles et La Bassée, soutenue par la 92ème DI territoriale du général Seré.

   Après avoir combattu, début octobre, dans le secteur sud-ouest d’Arras (Mercatel, Beaurains, Neuville-Vitasse), la 20ème DI (général Anthoine) tient le sud de la Scarpe jusque Agny à partir du 6. A la même date, la divison Barbot, après avoir reçu un renfort de blessés légers, réorganise ses positions du Fauburg Saint-Sauveur jusque Roclincourt mais, dans la nuit du 8 au 9, à la faveur d'une attaque nocturne, l'ennemi s'empare de la Ferme de la Maison Blanche et franchit la route de Roclincourt. La division Barbot remonte alors peu à peu vers le Nord : entre la Scarpe et Roclincourt jusqu’en décembre puis entre Ecurie et le bois de Berthonval. De son côté, la 20ème DI prendra part à la défense d'Arras fin novembre et attaquera, le 17 décembre, en direction de Saint-Laurent.

 

 

Arras place1 1

 

 

 

Arras 1914

 

   Le 5 octobre, le général Foch, adjoint du Généralissime, vient à Saint-Pol au PC du général de Maud’huy et confirme la nécessité de défendre coûte que coûte les deux points hauts de Vimy (140 m) et de Notre-Dame de Lorette (165 m). Ils constituent en effet la dernière barrière de résistance. Ensuite la plaine s’étend jusqu’aux bordures de l’Ile de France. Il convient donc de barrer la route de Paris. Par ailleurs, celui qui tient ces collines, a des vues sur les plaines qui s’étendent à l’ouest et sur le bassin minier de Béthune à Douai.

 

Général Foch

 

Général Foch

 

   Hélas, il est déjà trop tard : Avion, Willerval, Souchez et le Cabaret rouge sont déjà occupés, sans grandes résistances, par la 5ème DI de réserve bavaroise qui forme l’aile droite du Ier Corps d’armée de réserve bavarois.

   Dans la journée du lendemain, 6 octobre, tandis que le général Foch, nommé représentant du Général-chef, installe son PC à Doullens, la 9ème Brigade d’Infanterie bavaroise du général Hurt coiffe presque sans coup férir les hauteurs de Vimy et de Notre-Dame de Lorette et s’avance même jusqu’à la lisière du bois de Bouvigny à hauteur de Marqueffles. Les autres unités de cette 28ème Division d'élite badoise se répandent dans les villages environnants, notamment Neuville Saint-Vaast, Souchez, Ablain-Saint-Nazaire et Carency. Le Kronprinz a rapidement compris que sa manoeuvre de débordement ne réussissait pas et qu'une guerre de position allait succèder à une guerre de mouvement. Il ordonne donc à ses troupes de fortifier le terrain conquis et de transformer les villages et le plateau de Lorette en centres de résistance qui devront être durcis et renforcés chaque fois que possible.

   Ce bastion de Lorette présente toutes les caractéristiques nécessaires pour constituer un solide môle de résistance. Comportant un certain nombre de contreforts, il se situe au milieu d’un cirque de 1500 m de large et 3000 m de long, creusé par la rivière la Souchez et ses deux affluents, le Saint-Nazaire et le Carency, s’étranglant par un goulet de moins de 500 m avant de déboucher sur la plaine. Trois ressauts le découpe :

   - la longue arête proprement appelée de "Notre-Dame de Lorette", orientée ouest-est, déchiquetée par une série de ravins perpendiculaires rétrécissant le plateau jusqu’à moins de 500 m et séparés entre eux par des éperons dénommés Mathis, le Grand Éperon, l’Éperon des Arabes, la Blanche voie et l’Éperon de Souchez aux pentes sud atteignant 20 %, au lieu de 10 % au nord et 5 % à l’est ;

   - la croupe du Moulin Topart, de même orientation mais moins élevée de 30 m, et en retrait de 2000 m vers l’ouest, sépare les deux vallées où se nichent les villages éponymes ;

   - enfin, le plateau qui prolonge le massif vers le sud-est, se redresse auparavant vers le nord de près de 2000 m, la crête de Givenchy (119 m - Vimy 140 m) fermant à l’est la vallée de la Souchez par un talus abrupt de 10 % sur ses trois faces.

  

   Les "pionier" se mettent aussitôt au travail. Dans les rues, et en particulier aux issues des villages, ils élèvent des barricades défendues par des mitrailleuses bien abritées ; ils tranforment en bunker chaque maison, en renforcent les caves qu'ils réunissent entre elles en perçant les murs. En outre, les artilleurs dissimulent leurs batteries à l'intérieur d'Angres et Liévin à l'insu des observateurs français installés dans les tours de l'abbatiale de Mont-Saint-Eloi, qui devient une cible de premier choix.

   Le 8 octobre, le général Maistre, commandant le XXIème CA lance une attaque pour reprendre le plateau de Lorette : renforcée du 149ème RI et du 1er BCP, la 43ème DI (général Lanquetot) mène une action ouest-est tandis que la 13ème DI (général Cadoudal), avec l’appoint des 17ème et 20ème BCP, attaque par la face nord. La 13ème DI du VIIème AK du général von dem Borne, renforcée des 25ème et 26ème brigades, leur oppose une forte résistance. Après quatre jours de combats acharnés, l’Éperon Mathis et le Grand Éperon sont cependant repris de même que la chapelle.

   Pendant ce temps, la « course à la mer » se poursuit, de même que la recherche de liaisons avec l’armée belge qui, après la capitulation d’Anvers le 8, s’est repliée sur Ostende puis Ypres, où est envoyé le groupe des fusiliers marins de l’amiral Ronar’ch. Lille capitule le 13 octobre.

   Devançant sa nomination officielle qui n’interviendra que le 5 janvier, le général Foch installe à Cassel son PC de commandant du groupe d’armées Nord. D’autre part, le général d’Urbal nommé au détachement d’armée en Belgique cède au général Pétain le commandement de son corps d’armée provisoire qui s’est battu devant Thélus puis est lentement remonté vers le Nord pour devenir le XXXIIIème CA, le 20 octobre.

   Pendant ce temps, sur « le plateau de Lorette », les adversaires ne cessent d’aménager et de renforcer leurs positions : les trous individuels ont été reliés en tranchées constituant plusieurs lignes brisées continues échelonnées en profondeur et reliées entre elles par des boyaux. Mais les pluies d’automne, abondantes cette année, ont tôt fait d’en diluer les parois et d’en remplir les fonds d’une boue épaisse dans laquelle pataugent les combattants qui les occupent. Il ne reste bientôt plus de bois dans le secteur. Tout a été transformé en caillebotis, en toitures parfois recouvertes de toiles de tente pour se protéger de la pluie, ou comme étais de « cagnas » enterrées. Les plus débrouillards ont récupéré des tôles ondulées dans les villages environnants.

   Dans la nuit du 2 au 3 novembre, la 43ème DI est relevée pour être envoyée en Flandre. Mais un retard dans la prise de positions par le 360ème RI et des éléments de la 13ème DI est mis à profit par la 26ème brigade du général Brauchitsch pour lancer une attaque en direction de la chapelle : au cours des combats celle-ci change trois fois de main et finalement la ligne de front est reportée à 100 m à l’ouest du sanctuaire. La 25ème brigade allemande cantonne à Angres et Aix-Noulette. Toutes deux appartiennent à la 13ème b. DiR du général von dem Borne et au VIIème AK.

   Il est assez difficile de déterminer, dans la relation officielle de "Loretto", la participation effective de tel ou tel régiment, allemand ou français, dans telle ou telle action. En effet, l'un des trois bataillons est souvent tenu un peu en arrière en repos ou comme première réserve prête à renforcer les camarades de premières lignes qui, par ailleurs, constituent souvent des groupements tactiques avec des fantassins appartenant à d'autres régiments de la même brigade, voire d'une division différente. C'est ainsi que le 109ème Leibgrenadier coopère souvent avec le 111ème Fusilier ou le 40ème RIR.

   Le 17 novembre, remontée peu à peu, elle aussi, vers le Nord, la division Barbot devient la 77ème division au sein du XXXIIIème CA du général Pétain.

              Avant le 1er décembre, le gel et la neige font leur apparition : l’eau gèle dans les tranchées et une épaisse couche de glace recouvre les trous d’obus.

L’offensive d’hiver (première bataille)

 

   Cependant les généraux Joffre et Foch veulent absolument reprendre Lorette et Vimy et, si possible dans la foulée, repousser l’ennemi au-delà de la frontière. Ils envisagent donc une grande offensive à partir du 15 décembre.

   Mis au courant du projet par le général de Maud’huy, le général Pétain le convainc aisément de réclamer des renforts importants : deux corps d’armée frais, de l’artillerie en abondance et des moyens du génie pour ouvrir des brèches dans les barbelés : brouettes blindées, canons porte-amarre, carapaces pour cisaille.

  

  En réalité, le Généralissime ne dispose que de modestes réserves : deux divisions d’infanterie, quatorze bataillons de chasseurs, deux corps de cavalerie ; l’artillerie lourde est réduite à quelques pièces de modèles anciens avec bien peu de munitions.

   Le 29 novembre, le général Foch réunit au PC de la Xème Armée à Saint-Pol les généraux Pétain, Fayolle et Barbot et leur expose son plan, dont l’action principale sera menée par le XXXIIIème CA. Malgré les remarques et suggestions de ses interlocuteurs, il refuse toute modification et fixe le début de l’offensive entre le 18 et le 20 décembre.

 

   De retour à son PC, le général Fayolle confie à son chef d’état-major : « Je n’ai jamais entendu autant de bêtises ; autant vouloir renverser un mur de pierre à coups de tête ou de poing ».

   Le 1er décembre, le général Joffre se déplace à Cassel au PC de Foch : il accorde à la Xème armée une division d’infanterie et dix bataillons de chasseurs qui seront prélevés sur l’armée des Flandres. Dans une lettre personnelle qu’il adresse au général Weygand, adjoint du général Foch, le commandant de Vallières, chef d’état-major de la Xème armée note que « personne ne peut discuter avec Pétain en matière d’attaque d’infanterie ». Professeur de tactique à l’Ecole de guerre avant de recevoir le commandement du 33ème RI d’Arras, le lieutenant-colonel Pétain prônait déjà la primauté du feu et du matériel sur les hommes, l’utilisation du terrain et la défensive offensive. Il s’opposait ainsi à l’enseignement de son prédécesseur, le colonel Grandmaison et à la conviction du directeur de l’Ecole, le général Foch. Cet anticonformisme qui peut aussi se formuler « l’artillerie conquiert le terrain, que l’infanterie occupe ensuite », avait d’ailleurs incité le Saint-Cyrien Charles de Gaulle à choisir le 33ème RI comme première affectation.

 

L’ordre d’opérations transmis à la Xème Armée prévoit que :

   - renforcé de dix bataillons de chasseurs, le XXXIIIème CA mènera l’action principale sur l’axe bois de Berthonval - Cote 140 - en étroite liaison avec les actions secondaires menées sur les axes Carency - Souchez et La Targette-Neuville Saint-Vaast,

   - le XXIème CA ménera une action simultanée d’est en ouest à travers le plateau de Lorette,

   - composée de deux brigades à provenir des Xème et XXIème CA et d’un corps de cavalerie, la réserve d’armée se tiendra prête pour une exploitation sur l’axe principal,

   - deux équipages de sièges, soit 26 batteries d’artillerie lourde, dont 20 de modèle ancien, appuieront les deux corps d’armée, sur leur demande.

 

Plan 2 bis

 

 

   Le début de l’offensive est avancé au 13 décembre. Mais cette date ne peut être respectée car les chasseurs tout comme l’artillerie ne pourront être à pied d’œuvre avant le 14.

   Dans cet intervalle, plusieurs modifications du plan initial sont étudiées : petites attaques sur des objectifs limités ou encore grande offensive généralisée le 11, que le général Fayolle qualifie de « projet insensé et stupide ».

 

General fayolle

 

Général Fayolle

  

    Mais toute l’artillerie lourde prévue ne peut rejoindre. Les pièces parvenues à pied d’œuvre appuieront donc, à tour de rôle, les deux corps d’armée dont les actions ne seront plus coordonnées. Le début de l’offensive est reporté au 17 matin puis dans l’après-midi.

    Or le XXIème CA a déjà essuyé un échec le 1er décembre dans sa tentative de reprendre Loos-en Gohelle et Vermelles, seule cette dernière cité ayant été en partie reconquise.

    C’est lui qui, dans l'après-midi du 17 décembre, s'engage pour la reconquête du plateau de Lorette. Partant de Noulette et du Fond de Buval, la 13ème DI attaque en direction du Grand Éperon. Le plateau et ses environs sont alors tenus par la 28ème DI badoise (général von Kehler) qui y a relevé les jours précédents la 13ème DI bavaroise. La 56ème brigade (colonel Tiede), à l'aile droite, tient depuis les lisières d'Angres avec le 40ème Fusilier (colonel Doerr) jusqu'à la sortie sud d'Ablain-Saint-Nazaire avec le 111ème (colonel von Saint-Ange). La 55ème brigade (colonel Olezweski), avec le 109ème Leibgrenadier et le 110ème au sud d'Ablain, assure la liaison avec la 9ème brigade bavaroise de réserve (général Hurt). Dans Souchez et Ablain, le IIIème bataillon du 109ème se tient en réserve immédiate, tandis que trois autres bataillons appartenant aux régiments 113, 142 et 30ème artillerie de campagne constituent à Angres la réserve de corps d'armée (AK).

   Sortie du Bois boche, la 13ème DI (général Cadoudal), après quelques succès, est rapidement stoppée et ramenée sur sa base de départ par une sévère contre-attaque. Dans la nuit, de fortes pluies accompagnées d'un vent violent tombent sur le secteur et se poursuivent le matin venu.

   Cependant, le lendemain, après une préparation d’artillerie, le XXXIIIème CA tente, vers 10 h 30, une attaque de Carency qui pourrait constituer une menace dans le flanc de l’action principale. Mais les obus n’ont guère détruit les épais réseaux de barbelés qui entourent le village et que n’ont pu approcher les moyens blindés du génie enlisés dans la boue dès les premiers mètres en raison du faible diamètre de leurs roues. Bien retranchés dans les caves fortifiées des habitations, appuyés par de nombreuses mitrailleuses embossées derrière d’épaisses barricades élevées dans les rues, les défenseurs du Ier AK bavarois annihilent tous les efforts : une même position change plusieurs fois de main. 

   Dans la nuit du 20 au 21, le I/113 et II/142 relèvent le 111 et le 40 et parviennent à reprendre une tranchée bourrée de cadavres. Le dispositif de la 56ème brigade dès lors est le suivant : le secteur occupé par elle est partagé en deux, à gauche, des bataillons des 109 et 113 sous le colonel von Saint-Ange, commandant le 111 et à droite, sous les ordres du colonel Doerr, commandant le 40ème Fusilier, deux bataillons des 114 et 142. Un bataillon du 112 est placé en réserve de brigade à Angres.

   Dans la matinée de Noël, mettant à profit un épais brouillard, un parti français parvient à s'approcher des tranchées du III/40, mais faute d'un appui efficace de l'artillerie qui ne peut bénéficier d'observations, il est violemment contre-attaqué et repoussé. Le 27, à la faveur d’une accalmie, le XXXIIIème CA parvient à s’emparer d’un bois au sud de Carency. Là aussi, une contre-attaque le rejette sur ses positions précédentes. Le 29 janvier un important coup de main est encore tenté sur la Sape C, tenue par des cavaliers démontés du 22ème Dragon qui avaient remplacé le 142. Il se termine par la mort ou la capture de nombreux dragons.

   Durant le mois de janvier 1915, la météorologie locale est toujours aussi défavorable. Le général Foch, qui ne peut accorder un corps d’armée supplémentaire à la Xème Armée a déjà décidé l'arrêt de l’offensive.

   La boue, le brouillard mais aussi la ténacité et la bravoure des défenseurs bavarois ont eu raison de cette offensive d’hiver qui se solde par plus de 7700 tués chez les nôtres et un nombre estimé équivalent chez les allemands.

  Le bilan n’est pourtant pas totalement négatif car dans le secteur voisin, le château de Vermelles et quelques puits de mine ont pu être repris par la 58ème DI (général Bolgert).

   Le commandant du groupe d’armées Nord n’a cependant pas abandonné son projet de reprendre Lorette et Vimy. On attendra une météo plus favorable. En attendant, les deux camps durcissent et valorisent leurs positions. Les réseaux de barbelés et chevaux de frise sont resserrés et densifiés. Les parois des tranchées sont creusées pour y aménager des cagnas ou des gourbis souterrains à l’abri de la pluie et parfois étayées avec quelques troncs d’arbres récupérés.

   De leur côté, les allemands utilisent de grandes quantités de béton pour garnir leurs tranchées d’abri pour mitrailleuses sans angle mort et d’ouvrages plus importants, tels « les ouvrages blancs », le blockhaus sous la chapelle de Notre-Dame de Lorette (- 10 m) qui chaque jour s’écroule un peu plus sous les obus, ou encore le Labyrinthe : réunissant entre elles plusieurs anciennes carrières de calcaires, ils aménagent, sur quelque 2500 m de long et 250 m de large entre le carrefour de La Targette et l’entrée actuelle de l’autoroute A 26, une vaste caserne souterraine à environ - 15 m, pouvant abriter une division entière dans des cantonnements répartis de part et d’autre de voies carrossables pour véhicules hippomobiles, rayonnant autour d’une rotonde centrale. En outre, les pioniers aidés de troupiers de seconde réserve (la Landwehr) ou de combattants en repos ou en alerte aménagent en surface un dédale de tranchées et de boyaux, renforcé de points d'appui bétonnés ou de sacs à terre, le tout particulièrement enchevêtré. Ce complexe fortifié est placé sous le commandement du général Göringer.

   De même, entre le Grand Éperon et l’Éperon des Arabes, ils percent dans la falaise le "Kanzel", sorte de redoute aérienne et souterraine assez vaste, abritée de la pluie en raison de l’épaisse couche de terrre et de roche qui la recouvre et hors d’atteinte des canons à tir tendu, mais pourvue d’une large ouverture offrant aux mitrailleurs et fusiliers d’excellentes vues sur Ablain-Saint-Nazaire situé en contrebas.

   En outre, ils fortifient chaque maison de Neuville Saint-Vaast, Carency, Ablain-Saint-Nazaire, mettent en batterie toutes leurs pièces d’artillerie dans Angres et Liévin, toujours à l’abri des vues des observateurs français même aérostiers ou aériens. Leurs tranchées sont échelonnées en profondeur sur cinq lignes avec boyaux de communication. Enfin les profonds ravins qui surplombent Ablain-Saint-Nazaire, très fortifié, ont permis de creuser dans leurs parois de profondes galeries, à l’abri des pluies et des obus et d’y réunir de nombreux combattants, détails qui ont échappé aux observateurs français du champ de bataille.

   Les deux artilleries ne restent pas inactives tandis que les occupants des tranchées de première ligne à peine distantes de plus de 100 m, échangent journellement balles et grenades. De leur côté, les sapeurs du génie creusent et aménagent galeries et fourneaux de mines.

 

L’offensive allemande

 

   Le 3 mars 1915, dès 7 heures, tandis que la colline est encore noyée dans le brouillard, le major Eggeling et ses pioniers font sauter seize mines qu’ils ont installées sous les lignes françaises. Aussitôt appuyée par les tirs de 36 batteries et de minenwerfer, la 28ème DI, désormais sous les ordres du général-major von Trotta, lance une attaque sur un front de 1500 m. L’objectif est de chasser le Français du plateau de Lorette. La 56ème brigade du colonel Tiede, chargée de l’action principale, est renforcée de plusieurs compagnies provenant des 40ème et 142ème RI et de compagnies de pioniers. La 55ème brigade du colonel von Blücher, avec des éléments des 111et 142, se trouve en réserve immédiate à Ablain, Souchez et au bord de la Schlammulde. Les premières minutes sont très favorables : 563 personnels des 10ème et 31ème BCP ou 149ème RI sont faits prisonniers et 7 mitrailleuses récupérées. Mais trente minutes plus tard, l’artillerie française riposte et tire sans arrêt jusque 17 heures. Des combats acharnés, fusillades, lancés de grenades, souvent des corps à corps à la baïonnette ou coups de crosse se prolongent toute la nuit et la matinée suivante jusque midi. La brigade des chasseurs du général Olleris est refoulée dans le bois de Bouvigny, mais le bilan est très lourd : 333 morts, 875 blessés, 285 disparus et 18 prisonniers. Ces combats incessants et meurtriers n’ont pas permis d’évacuer les morts. Ils sont donc inhumés dans les trous d’obus voire même dans les parapets et parados des tranchées ou encore dans les cratères des mines.

   Le lendemain, une contre-attaque de la 43ème DI, appuyée sur le flanc gauche par le 360ème RI, permet de rétablir la ligne de front à la « haie » qui traverse en biais le plateau environ 200 m à l’ouest de la chapelle en ruines.

   Dans l’après-midi du 13 mars, Ablain-Saint-Nazaire est soumis à un important tir d’artillerie qui provoque de nombreuses destructions. Il prélude à d’autres tirs sur le plateau au cours des deux nuits suivantes. Peu après 15 heures, le 15, trois fusées vertes montent dans le ciel, déclenchant aussitôt un tir de barrage de l’artillerie allemande : le 158ème RI du colonel Mignot (43ème DI) s’élance à l’assaut des tranchées et du Kanzel alors occupés par des éléments du 110 régiment de grenadiers. Très rapidement, le Kanzel est anéanti et ses survivants refluent sur Ablain-Saint-Nazaire, poursuivis par un feu très nourri. Toutefois le major Hors, chef du I/110, rassemble dans la nuit un groupement renforcé d'une compagnie du 2ème chasseurs, contre-attaque en partant d'Ablain et reprend une partie du Kanzel. Attaques et contre-attaques se succèdent jours et nuits durant plus de cinq jours avec de nombreux corps à corps et duels d’artillerie. Le Grand Éperon, objectif du 158ème RI, ne peut être gardé par le 17ème chasseurs qui l'abandonne le 20. Les morts qui jonchent le terrain sont poussés dans des trous d'obus : deux pour les allemands et un pour les français.

 

 

Plan allemand kanzel

 

Plan allemand du Kanzel

 

   L'offensive se déroule, avec le même acharnement et tout aussi meurtrière, plus au sud entre Souchez et la route Arras-Lens, secteur dévolu au Ier AK bavarois du général von Fasbender, bloquant parfois les combattants de première ligne durant 57 heures au lieu des 48 ordinaires. 

   En fin de mois, la 28 ème DI élargit son secteur : le 111 conserve la chapelle, le 110 le Kanzel (deux compagnies) et les tranchées du nord-est d'Ablain, puis le 109 jusque Carency tient l'aile gauche de la 55ème brigade.

   Le 15 avril, à 6 h 30, un épais brouillard couvre le plateau lorsqu'une forte explosion se produit au Kanzel qui, dans l'intervalle, a été réaménagé et réoccupé par la 55ème brigade (von Blücher). Un gouffre béant de 30 mètres de diamètre a englouti de 25 à 30 hommes, que l'on s'affaire à sauver si possible. En outre, quatre cagnas ont disparu. A 11 heures, le Kanzel ne répond plus et un nuage de fumée malodorante se répand, complètant la tragédie. A 13 h 30, la 70ème DI (général Fayolle) lance une attaque sur Ablain et le Grand Éperon. Les renforts allemands n'arrivent que vers 17 heures. Trop tard : le Kanzel est déjà repris par le 360ème RI et l'Éperon des Arabes est à nouveau français.

   Début mai, le 110 remplace le 40 Fusilier dans ses positions.

   Le bilan de cette offensive, très coûteuse en vie humaines et munitions, se solde par un gain de terrain variant de 50 à 250 mètres suivant les différents secteurs : les troupes françaises ont été refoulées à l'ouest du chemin qui mène de Noulette à la Chapelle.

   L’emploi de gaz asphyxiants, le 22 avril, sur le front de l’Yser a pour conséquence de priver la Xème Armée de l’une de ses divisions qui est envoyée sur le front des Flandres.

   Le 25 avril, le général de Maud’huy est nommé au commandement de la VIIème Armée dans les Vosges. Il est remplacé par le général d’Urbal revenu des Flandres.

   Les jours suivants, la tension monte de plus en plus : des renforts ont comblé en partie les pertes subies au cours de l’hiver et la rumeur (radio Bouthéon) annonce l’arrivée prochaine de nouvelles divisions. Cependant, aucun renseignement ne filtre sur la date et l’ampleur de l’offensive. L'aviation de reconnaissance allemande signale des mouvements de troupe dans le bois de Bouvigny. Dans leurs tranchées, les combattants allemands rendent compte d'une recrudescence de l'aviation française, tant pour la reconnaissance que pour le guidage par signaux lumineux de tirs d'artillerie, parfois de 320 mm, ou de "marmites" creusant des cratères de 4 à 5 mètres de profondeur et 12 à 15 mètres de diamètre : 5000 coups en 24 heures, rapporte le rédacteur de l'historique de 12ème b. RIR.

 

La grande offensive (seconde bataille)

Première phase

 

   La rupture du front russe par le maréchal von Mackensen, le 2 mai à Gorlitz, peut inciter le Haut Commandement allemand à dégarnir le front oriental au profit de l'occidental.

   Dans leur volonté de refouler l’ennemi au-delà de la frontière, les généraux Joffre et Foch n’ont pas lésiné sur les moyens. Ils ont prévu la mise en œuvre simultanée, entre la Bassée et Arras, de neuf divisions anglaises et de six corps d’armée français, soit vingt divisions selon le déploiement ci-après :

   - de la Bassée à Loos-en-Gohelle, de part et d’autre du canal, sous le commandement du général Sir Douglas Haig, les neuf divisions anglaises,

   - de Loos-en-Gohelle à Noulette, le IXème CA (général Curié) composé des 17ème DI (Guignabaudet), 18ème DI (Bolgert) et 58ème DI (Lefevre),

   - de Noulette au Grand Éperon, le XXIème CA (général Maistre) composé des 43ème DI (Lanquetot), 13ème DI (Cadoudal) et 48ème DI (Capdepont),

   - d’Ablain-Saint-Nazaire à la ferme de Berthonval, le XXXIIIème CA (général Pétain) composé des 70ème DI (Fayolle), 77ème DI (Barbot) et la division marocaine (Blondlat),

   - face à Neuville-Saint-Vaast, le XXème CA (général Balfourier) composé des 11ème DI (Ferry), 39ème DI (Nourrisson) et 53ème DI de réserve (Berthelot),

   - d’Ecurie à Roclincourt, le XVIIème CA (général Dumas), composé des 33ème DI (Blanc) et 34ème DI (de Lobit),

   - de Roclincourt à Saint-Laurent, le Xème CA (général Wirbel) composé des 19ème DI (Bailly), 20ème DI (Anthoine) et 81ème DIT (Gallet),

   - en outre, deux corps de cavalerie, sont placés en réserve de la Xème armée en zone arrière.

   - enfin, selon Pierre Miquel (Les Poilus), ont été prévus pour cette offensive :

  • 800 tubes de 75 mm (divisions et corps d’armée), dotation initiale : 100 coups,
  • 16 tubes de 155 mm court et 34 de 155m/m long, allocation de 30 coups par jour,
  • 4 tubes de 220 mm, allocation de 25 coups par jour.

Des chemins sont aménagés par les sapeurs pour desservir les PC et les différents dépôts de vivres, eau, munitions et matériels, postes de secours, et permettre des accès faciles à l'artillerie.

La préparation tactique n'est pas moins minutieuse : de nombreuses missions de reconnaissances et des photographies aériennes permettent l'établissement de plans directeurs au 1/5000ème et leur distribution aux éxécutants pour leur zone d'action. 

 

Officiers generaux recadre

 

Assis au premier plan: généraux Barbot et Pétain

Debout, de gauche à droite :

chef de bataillon Allégret, capitaine de Massignac, capitaine de Combes, capitaine Lageon, capitaine de Féligonde, capitaine de Bernis, colonel Stirn, lieutenant Kreitmann

 

 

   L’attaque s’effectuera sur un front restreint de dix kilomètres allant de Roclincourt à Notre-Dame de Lorette : cinq corps d’armée solides et appuyés par une puissante artillerie auront des missions bien précises.

    Une préparation préliminaire s’étalera sur huit jours par intermittence et avec consommation modérée (Les femmes françaises employés dans les usines d’armements reconverties sont encore en nombre insuffisant et n’ont pas encore acquis la dextérité et l’agilité nécessaires pour subvenir aux besoins des artilleurs). Elle sera complétée par le tir continu de 400 canons, quatre heures avant l’heure H.

   Le début de l'offensive générale est fixé au 9 mai 1915.

 

   Face à ce dispositif, selon des sources allemandes, le Kronprinz Rupprecht de Bavière ne met en ligne que la valeur de cinq corps d’armée ainsi déployés du nord au sud :

   - face aux divisions britanniques, de Givenchy-lez-La Bassée à Grenay : le VIIème AK du général von Kehler composé des 6ème B.DIR, 13ème et 14ème DI, en liaison à sa droite avec le XIXème AK saxon

   - au centre, de Grenay à la rive sud de la Souchez, y compris le plateau de Lorette : le XIVème AK du général von Hänisch comprenant la 29ème DI (général Isbert), soit les régiments 113, 114, 142 et 112, la 28ème DI d'élite badoise (général von Trotta) formée de la 55ème Brigade (von Blücher) avec le 40 Fusilier et le 111 Grenadier, de la 56ème Brigade (Tiede) avec le 110 Fusilier et le 109 Leibgrenadier

   - de la Souchez à la Scarpe et la voie ferrée d'Arras à Douai : le Ième AKR (général von Fasbender) composé notamment des 5ème, 6ème et 13ème DI, avec en particulier les 11, 12 et 13ème s b. RIR, le 153ème RI

   - le 39ème Landwehr prussien en réserve dans les tranchées arrière de Vimy

   - les régiments de cavalerie de réserve bavarois se tiendront près du 39 Landwehr prêts pour une exploitation.

   L'ensemble représente 25000 hommes et 24 batteries d'artillerie lourde et de campagne en position dans Angres et Liévin pour un front de 18 kilomètres.

 

 

Kronprinz rupprecht de baviere 1

Kronprinz Rupprecht de Bavière

 


   Dès le 1er mai, une forte activité de reconnaissance, tant aérienne que de la part des ballons d'observation, se développe dans les deux camps, d'autant que la météo estivale est de retour. En même temps, l'artillerie française débute un pilonage systématique, planifié mais épisodique des tranchées allemandes et de leurs arrières. Il est toutefois modéré, car les recomplètements des stocks après les combats de mars ne sont pas achevés et il convient donc de les économiser pour parer toute pénurie. Les batteries allemandes ne tardent pas à répliquer.

   Le 8 mai, à 18 heures, un important geyser de flamme jaillit du sol à droite de la chapelle de Lorette, à la jonction du 112ème Grenadier et du 40ème Fusilier. Sans doute provoqué par l'explosion prématurée d'une mine, il est suivi, au cours de la nuit, par des corps à corps très meurtriers entre chasseurs alpins et chasseurs noirs saxons. Le lendemain, dès 6 heures, 400 bouches à feu entament des tirs de destruction sur les cinq lignes de tranchées, les boyaux de circulation intermédiaires et les voies de communication des zones arrière allemandes.

   Quatre heures plus tard, l'explosion simultanée de quinze mines souterraines donne le signal de la grande offensive française de printemps. Ces explosions projettent dans l'atmosphère tout ce qui se trouve au-dessus du fourneau : vivants ou cadavres parfois désarticulés, terre, cailloux, divers matériels et parfois latrines, qui retombent ensuite sur le sol.

   Après avoir fait tomber à la pelle la faible couche de terre qui cachait leurs parallèles de départ aux vue des observateurs adverses et à la surprise de ceux qui leur font face, les vagues d'assaut jaillissent en avant de leur réseau de barbelés, et se précipitent dans leurs lignes remuées et bousculées par les obus.

    Les opérations des corps d'armée sont certes coordonnées, mais chacun se trouve face à des réalités différentes qui ne permettent pas une progression en ligne. Il semble donc préférable d'étudier leurs actions séparément, malgré l'inévitable ennui des retours en arrière.


Au XXXIIIème CA (général Pétain)

 

   C'est à lui qu'incombe la mission d'enlever les cotes 119 de Givenchy et 140 de Vimy.
   A cet effet, partant des lisières sud de Carency et du Bois de Berthonval, la 70ème division (général Fayolle) avait pour mission d'attaquer Carency et la 77ème du général Barbot, conjointement avec la DI marocaine du général Blondlat, devait franchir la route de Béthune, enlever le Cabaret Rouge et le cimetière de Souchez, puis pousser un régiment à la cote 119 et Givenchy. La division marocaine avait pour objectif la cote 140 en liaison avec le XXème Corps qui était à sa droite

   Les 97ème et 159ème RI de la division Barbot enlèvent les premières tranchées ennemies assez aisément mais au prix de quelques tués et, dans leur fougue, percent entre le Ier b. RAK et la 22ème DI, s'emparent de l'ouvrage Oméga et atteignent la route nationale. Le 97ème remonte vers le Cabaret rouge et enlève le cimetière. Le 159ème poursuit vers la cote 119, franchit le ravin des Écouloirs, anéantit une batterie d'obusiers qui s'y cachait et opère sa jonction avec les Zouaves, Turcos et Légionnaires de la division marocaine qui ont atteint la cote 140 et même lancé quelques patrouilles vers Vimy et Givenchy. En une heure et demie, ils ont franchi 4,5 kilomètres à travers un paysage lunaire et créé dans le dispositif ennemi une poche de 4 kilomètres de large. Harassés et assoiffés, ils ne peuvent poursuivre leur action. En outre, de nombreux officiers sont hors de combat, les laissant sans chef. Le haut commandement n'avait pas envisagé une avance aussi rapide et les troupes prévues pour l'exploitation de la brèche ont été maintenues assez loin en arrière dans un souci de sécurité et de secret.

 

   Les divisions de réserve allemandes de Douai et Roubaix ont été alertées et sont déjà en route par tous moyens disponibles. En attendant leur arrivée, le colonel Tiede, chef de la 56ème brigade de la 28ème division badoise, rameute dans Lens tous les personnels disponibles, même les magasiniers, les musiciens et les conducteurs de véhicules hippomobiles et avec le III/109 bataillon et deux escadrons de cavalerie démontés, gagne l'endroit critique et avec l'appui de l'artillerie qui tire depuis Neuville Saint-Vaast et la ferme de la Folie, ferme la brèche. L'arrivée des divisions de réserve vers 17 heures, avec mission de barrer le chemin entre le Cabaret Rouge et Farbus, contraint les assaillants français à se replier jusqu'à la route nationale. Le 97ème se resserre sur le Cabaret Rouge, le 159ème et la division marocaine dans le chemin des Pylônes et les Chasseurs sur la route de Souchez à Carency.

   Le lendemain, les combats se poursuivent avec toujours autant de violence. Privé de toute communication avec ses régiments, le général Barbot se rend en première ligne pour apprécier la situation. Blessé par un éclat d'obus et relevé par l'un de ses hommes, il est aussitôt évacué sur l'hôpital de Villers-Chatel, après avoir exhorté ses troupes à tenir côute que coûte. Le colonel Stirn, commandant la 88ème brigade, le remplace. Le 12 mai, il est dans la baraque qui lui sert de PC, en train de consulter ses cartes pour prendre connaissance de la situation de la 77ème division, lorsqu'un éclat d'obus traverse la cloison de bois et lui sectionne la carotide. Il n'a pas eu le temps de porter ses étoiles.

 

La situation vue par les Allemands
   

   L'intervention des 115ème DI (général von Kleist) et de la 58ème DI (général von Gensdorf) a permis, au soir du 9 mai, de réduire la poche ouverte dans le front de la 5ème b.DIR (général Kress von Kressenstein). Cependant, des éléments français se trouvent toujours de part et d'autre de la route Arras-Béthune. Le Kronprinz Rupprecht décide de remanier son dispositif : dans un premier temps, la 28ème DI est renforcée sur le plateau de Lorette par un bataillon de Jäger (chasseurs), la 115ème DI relève la 5ème DIR, deux régiments de la 58ème et un régiment d'artillerie sont adaptés au Ier b.ARK. De plus, il obtient du QG impérial l'envoi de la 117ème DI saxonne de Rethel à Douai, en réserve.

   Les contre-attaques lancées les deux jours suivants n'obtiennent que peu de résultats et se soldent par de lourdes pertes. Réunissant à Hénin-Liétard ses commandants de corps d'armée, le Kronprinz leur donne l'ordre de tenir coûte que coûte les positions de Carency et Ablain-Saint-Nazaire, garantes du maintien sur le plateau de Lorette.

   Ce 11 mai, von Falkenhayn ordonne au VIIIème AK renforcé de la 16ème DI de faire mouvement sur Douai, comme réserve d'Armée. Pour sa part, la 117ème (général Küntze) est poussée au sud-est de Lens.

   La 28ème DI relève sur le plateau de Lorette les troupes épuisées alors que des éléments du XXIème CA y sont solidement incrustés. Dans la soirée, la 117ème est adaptée au Ier b.AKR pour la défense de Neuville-Saint-Vaast et le VIIIème AK (général Riemann), moins la 15ème DI restée en réserve à Douai, est inséré dans le dispositif du XIVème AK

   

Au XXIème CA (général Maîstre)

 

   Combinant son action avec celle du XXXIIIème CA, il a pour mission, ce 9 mai, de chasser l'ennemi du plateau de Lorette. Or, en liaison avec le 40ème Fusilier à sa droite, c'est la 28ème division badoise qui y occupe la plus grande partie des tranchées, le complexe de la chapelle et le Kanzel, et dans la vallée en contre-bas, Ablain-Saint-Nazaire et la route vers Carency.

   Bondissant de leurs tranchées, situées vers le musée actuel ou dans le Fond de Buval, les vagues d'assaut de la 43ème DI (général Lanquetot) et de la 13ème DI (général Cadoudal), qui seront bientôt renforcées et complétées par la 6ème DI (général Jacquot), enlèvent les trois premières lignes de défense dont de nombreux occupants ont été mis hors de combat par les mines et les tirs d'artillerie. Mais, d'une part, elles subissent les tirs de barrage de l'artillerie allemande (dont des 280) qui ne tarde pas à riposter ; d'autre part, elles sont prises à partie par les mitrailleuses de la redoute de la chapelle et du Kanzel qui, tirant à 0,75 mètre du sol les fauchent comme des blés et contraignent les survivants à se terrer dans les cratères d'obus ou sur les bords d'un cratère de mine de 80 mètres de tour. L'apparition d'une seule tête coiffée ou non d'un képi suffit à déclancher le "staccato" de plusieurs mitrailleuses. Cette situation perdure les jours suivants.

   De son côté, la 70ème DI du général Fayolle, à la droite du XXIème corps, franchit, dès son débouché, les ravins et cuvettes qui la séparent des lisières sud de Carency tenu par quatre bataillons (deux de chaque 109 et 111) et six compagnies de pioniers, sous les ordres d'un chef de brigade. Après avoir emporté trois lignes de tranchées et atteint la lisière sud du village, elle doit conquérir le terrain mètre par mètre et à la grenade. Le soir venu, les ruines de quelques maisons de l'îlot Sud sont entre ses mains et, à l'est, la route de Souchez a été atteinte à plusieurs endroits.

   Le lendemain, l'enveloppement du village se poursuit par l'est : la route vers Souchez est coupée et toute communication entre les deux villages est interdite. Le bois de l'autre côté de la route est repris dans la journée du 11 et, le 12, c'est le tour du mamelon 125 au nord-est du village et de la carrière sise au nord-ouest. Toute retraite lui devenant impossible, la garnison se rend : c'est plus de 1000 prisonniers, emmenés par un colonel, qui prennent la direction de la captivité.

   La perte de Carency conduit le Commandant de la 6ème Armée à confier au gal von Fasbender le commandement unifié des trois corps d'armée, XIVème AK, VIIIème AK et Ier b.AKR avec mission  de se maintenir sur les positions du moment et d'être en mesure de gagner rapidement une ligne de résistance solide et durable entre Carency et Neuville-Saint-Vaast.

 

    Jusqu'au soir du 12 mai, la situation sur le plateau de Lorette est restée inchangée. Il fait chaud, l'odeur fétide et putride qui s'élève de cet immense charnier sur lequel s'ébattent des myriades de grosses mouches noires, est atroce. Les combattants allemands le comparent à l'enfer et l'appelent "le chaudron de la sorcière".

   A la nuit tombante, quelques chasseurs, à la faveur de la pénombre, parviennent à ramper sans se faire repérer jusqu'au pied de la redoute de la chapelle. Arrachant quelques sacs de sable, ils aveuglent des créneaux de mitrailleuses et permettent ainsi à leurs camarades d'accourir et de bondir à l'intérieur du réduit. Des corps à corps acharnés à la baïonnette ou au couteau de chasse s'y déroulent toute la nuit. Au matin, ce n'est qu'une poignée de survivants qui s'enfuit vers l'est du plateau.

   La chapelle, qui n'est plus qu'un tas de ruines, est dépassée. Autour d'elle, un  enchevêtrement de souterrains, entonnoirs, trous d'obus remplis de cadavres et de matériels.

 

Emplacement chapelle

 

    Cependant, des bataillons du 109 Leibgrenadier et du 40 Fusilier résistent toujours sur les éperons de la Blanche Voie et de Souchez et continuent d'interdire toute nouvelle progression de la 70ème DI dans la vallée. L'éperon de Souchez est peu à peu conquis les jours suivants mais celui de la Blanche Voie résiste toujours, appuyé par les tirs de mitrailleuses appartenant au groupement constitué par des éléments des 109 Grenadier et 40 Fusilier. La ligne française décrit alors un arc-de-cercle depuis l'ouest d'Ablain-Saint-Nazaire jusqu'aux flancs de l'éperon de Souchez et cette situation persiste durant huit jours, car les deux môles de résistance sont maintenant tenus par la 117ème DI silésienne qui, dans la nuit du 13, y a relevé les régiments 106 et 110, très éprouvés.

  

   A la suite de la perte de la barricade entre Ablain et la colline par les régiments 157 et 111, après de sanglants combats au cours desquels succombe le capitaine Silvert, commandant le III/111 bataillon, les tranchées de la Blanche Voie sont enfin reprises le 22 mai. Une contre-attaque menée dans la nuit du 23 par deux bataillons du 22ème RIR et du 40ème Fusiliers est rapidement enrayée.

   C’est un rassemblement de survivants de neuf régiments (11, 22, 201, 40, 109, 110, 111, 142 et 157) qui occupe maintenant Souchez, mais ils sont désorganisés car ils ont aussi enregistré d'importantes pertes au cours des combats des dernières semaines.


   Il est à noter qu’un renfort de jeunes appelés de la classe 1915 arrive le 25 mai pour nos corps d’armée engagés dans l’offensive. Ils sont dotés de la tenue gris bleu, le fameux « bleu horizon », mais, dans les tranchées, les guetteurs porteront désormais sous leképi une lourde calotte d’acier, la cervelière, afin de réduire le nombre de blessés à la tête.

 

 Retour à la 70ème DI

 

   La reconquête des deux derniers éperons de l’est du plateau permet enfin à la 70ème division du général Fayolle de reprendre son attaque dans la vallée de la Souchez et, en premier lieu, dans Ablain-Saint-Nazaire, où une brèche de 500 mètres est ouverte dès le 27 dans le flanc sud défendu par trois compagnies du 111. Le pâté de maisons proche de la magnifique église du XVIème est repris à son tour le 29.

   Toutefois, des éléments des 142ème et 157ème RIR ferment toujours très âprement le verrou de la sucrerie de Souchez. Tandis qu’à l’est du village, la 77ème division, aux ordres du général Pillot, est toujours aux prises avec ses adversaires à hauteur de la route d’Arras-Béthune, au cimetière et au Cabaret rouge : elle se trouve sous les feux croisés provenant des cotes 119 et 140 et ceux de Souchez toujours occupé. Niché dans la vallée du même nom, au confluent des ruisseaux de Carency et de la Saint-Nazaire, ce village se prolonge à l’est en pente douce vers la cote 119. Ensuite la ligne de faîte continue vers le sud-est pour atteindre la falaise de Vimy, la cote 140. De part et d’autre de la route d’Arras à Béthune, les points d’appui du Cabaret rouge et du cimetière sont en liaison avec les fortifications établies dans le Bois, le château de Carleul et son parc, protégés par un obstacle naturel, « le Schlammulde », marais créé par une dérivation du Carency. Fin mai, ils sont toujours l’objet de furieux combats.

 

Au XXème CA

 

   Plus au sud, le général Balfourier a lancé ses deux divisions, la 11ème (général Ferry) à droite et la 39ème (général Nourrisson) à gauche et en liaison avec la division marocaine, le 9 mai, à 10 heures, depuis le bois de Maroeuil et la ferme de Berthonval vers la crête de la Folie et la colline du Télégraphe de Thélus. Deux obstacles importants se dressent sur leurs parcours : le village de Neuville Saint-Vaast surfortifié et le Labyrinthe qui doit réserver de nombreuses surprises.

   Rapidement, quatre lignes de tranchées tenues par des bataillons des 12ème et 13ème régiments bavarois sont dépassées, des blockhaus isolés et Les ouvrages Blancs sont enlevés. Mais, dans leur hâte et leur fougue, les premières vagues d'assaut ont omis de "nettoyer" à fond les positions conquises et se trouvent prises à revers par des défenseurs qui, cachés lors de leur passage, leur tirent maintenant dans le dos, les contraignant à revenir en arrière pour procéder au nettoyage complet avec l'aide des secondes vagues. Conjointement, elles s'emparent du hameau de la Targette et, en moins de deux heures, la route Arras-Béthune est franchie.

    Dès que la 39ème aborde les premières maisons de Neuville, le combat change de conditions : il apparaît aussitôt que le village devra être repris rue par rue et maison par maison (caves y compris). Une manœuvre en tenaille par le nord et le sud est tentée : le cimetière communal, au sud-est, est atteint dans l’après-midi et devient le théâtre de furieux corps à corps entre les tombes bouleversées et éventrées par l'artillerie. Prise et reprise deux fois, la nécropole reste finalement entre les mains allemandes.

   La 11ème DI, dont l’objectif était le carrefour des Tilleuls et la colline du Télégraphe, est stoppée par le fameux complexe du Labyrinthe et doit attendre un appui sérieux de l’artillerie.

   Réunies, les deux divisions renforcées de la 53ème DI du général Berthelot doivent entreprendre la reconquête du village : âpres et meurtriers, les combats se déroulent jour après jour. Enfin, le 15 mai, toute la partie centrale autour de l’église est abandonnée par l’adversaire qui reste néanmoins encore solidement retranché dans le quartier nord et quelques maisons de l’ouest du village. La situation ne change guère au cours de la décade suivante : le communiqué journalier laconique de Grand quartier général se borne à mentionner la poursuite de tirs d’artillerie sur le village.

   Le 27 mai, la 5ème DI (général Mangin) prend la relève et entame avec la 53ème DI (général Berthelot) la reconquête du Labyrinthe, défendu par les 161 et 205ème RIR sous les ordres du général Göringer, pour ne l’achever que le 16 juin. En même temps elle poursuit jusqu'au 9 juin le nettoyage du village qui n’est plus qu’un amas de ruines. Selon un chroniqueur allemand, la 53ème DI aurait lancé 24000 grenades en trois jours.

 

Obus allemand de 210

 

 

Retour au XXXIIIème CA

           

   Après avoir reconquis entièrement les ruines de Carency, la 70ème division peut maintenant se tourner vers Ablain-Saint-Nazaire, tout aussi fortifié et tenu par les 142 et 157. L'encerclement, comme celui de Carency, semble être la seule solution. Tout en verrouillant la lisière sud, la division longe la route en direction de Souchez, dont elle atteint la sucrerie le 15 mai. Le surlendemain, elle lance une attaque sur Ablain à 4 heures. Atteint par un obus, un dépôt de matériels situé dans le centre du village, saute, causant de nombreuses victimes. La 117ème DI silésienne (général Küntze) qui, après seulement cinq journées de présence, a perdu 235 morts, 650 blessés et 72 disparus, doit être relevée par la 28ème badoise pourtant dèjà très amenuisée. Le 40ème Fusilier, dont les pertes depuis le 9 mai s'élèvent à 189 morts, 479 blessés et 137 disparus, est à son tour remplacé par des bataillons des 109 et 110 (deux de chaque régiment) le 19.

   La chute, le 22 mai, de la barricade installée entre la lisière nord-ouest du village-forteresse et la falaise abrupte du plateau de Lorette, permet une action décisive contre la sucrerie de Souchez qui est emportée le 30 mai, après deux journées d'âpres combats contre les 157ème et 142ème RIR. Reprise dans la nuit, elle est définitivement reconquise à l'aube. Le 93ème d'Anhalt et le 11ème RIR relèveront les précèdents le 4 juin et tenteront plusieurs contre-attaques qui toutes échoueront.

   Le 9 juin, après une préparation d'artillerie, les tirailleurs s'élancent contre le 93ème qui lâche pied et rebrousse vers le centre de Souchez. Ce village est autant fortifié que ses voisins, mais il compte aussi nombre de points d'appui, tant dans le centre qu'aux lisières. En outre, la dérivation de la Carency a permis la transformation du bois et du parc du château de Carleul en un vaste marais, obstacle naturel supplémentaire dénommé "Schlammulde"

   Le 15 juin, Souchez est toujours occupé et la 70ème DI du général Fayolle butte toujours sur le château de Carleul.

   L’offensive du 9 mai visait avant tout la reprise du plateau de Lorette et des cotes 119 de Givenchy et 140 de Vimy. L’effort avait donc été porté sur le centre du front, soit 10 kilomètres sur 18. Les actions menées aux ailes droite et gauche avaient surtout pour but d’y fixer l’adversaire et l’empêcher de renforcer ses forces du centre.

 

Au XVIIème CA   (général Dumas)

 

   Arrivée de Champagne en avril pour renforcer le corps d'armée du général Dumas, la 34ème DI (général Lobit), a attaqué le 9 mai sur la direction Roclincourt-Thélus (colline du Télégraphe). Elle se heurte au Ier b. AKR qui se bat dans cette région depuis octobre. C’est un échec complet : elle perd la moitié de ses officiers et le tiers de ses hommes.

   De son côté, la 33ème DI (général Blanc) en liaison à sa gauche avec la 11ème DI, est soumise dès son départ, à des tirs de flanquement en provenance d’Écurie. Néanmoins, elle parvient à s'ouvrir une brèche entre la jonction du RIR 3 et d’une brigade de la DIR 1 qui, encerclée par les flammes sur trois côtés, tombe : une voie vers la crête de Vimy s'ouvrait. L'occasion ne fut pas saisie et l'arrivée de renforts  (5ème b. RI venue de Bailleul) referma la brèche. Une heure et demie après le début de l'attaque, la question était réglée : de nombreux morts et blessés de part et d'autre et 92 prisonniers français dont des jeunes portant des uniformes neufs et la cervelière sous le képi.

   Le 21 mai, cette division rejoindra, au sud sud-ouest d’Arras, le secteur de Blangy, Saint-Sauveur, château Cruchon, Achicourt.

 

Au Xème CA (général WIRBEL)

 

   Les 19ème DI (général Bailly) et 20ème DI (général Anthoine) du X° corps d’armée du général Wirbel n’obtiennent pas plus de succés. Du 9 au 12, la première s’efforce en vain de reprendre le terrain entre le Point du Jour et la station Chanteclerc de Bailleul-sire-Berthoult, tandis que la seconde échoue en partant de Blangy.

 

Au IXème CA (général Curié)

 

   Au nord du plateau de Lorette, le IXème CA n’a pratiquement entrepris aucune opération dans son secteur : dès le premier jour de l’offensive, ses divisions ont renforcé les deux corps d’armée chargés de l’effort principal, pour relever les vagues d’assaut ou leur prêter main forte.

 

   Le bilan de cette grande offensive s’avère très lourd. Certes 24 canons, 134 mitrailleuses et 7500 prisonniers ont été capturés mais le prix est élevé : 100000 tués ou blessés dont bon nombre mourront peu après. Les pertes allemandes sont vraisemblablement moindres, de l’ordre de 80000. Mais la cote 140 de Vimy est toujours solidement tenue par les troupes du Kaiser.

 

La grande offensive

Deuxième phase

 

   Le commandemment français décide donc de tenter un nouvel effort.

  L’artillerie a reçu des renforts et quantité de munitions ont été poussées aux batteries. Les unités des XXIème et XXXIIIème CA ont été recomplétées et réorganisées. Il en est même chez l’adversaire.
   A une violente préparation d’artillerie française mais d’assez courte durée et échelonnée sur plusieurs jours, dans le souci d’économiser les munitions, répond une contre-préparation allemande encore plus violente. Le dispositif est sensiblement le même que le 9 mai : la division marocaine doit s’emparer de la cote 119. A sa droite, le IXème CA attaquera la cote 140 et à sa gauche la 77ème DI (général Pillot) reprendra Souchez.

   Le 16 juin, les 26ème, 27ème et 72ème brigades allemandes sont en position entre les bords de la Schlammulde et les pentes sud de Lorette.

 

Au XXXIIIème CA

 

   L'heure H est fixée le 16 juin à 12 heures 15.

   Au centre de l’attaque, ce sont les zouaves du 8ème RI et les tirailleurs du 4ème RI composant la 2ème brigade qui bondissent les premiers. Ils déferlent dans le ravin de Souchez, attaquent la pente de la cote 119, contournent l’écueil du Bois des Écouloirs et coiffent enfin l’objectif fixé. Des tirs de mitrailleuses ont stoppé les divisions voisines de droite et de gauche. Seul le 93ème RI a repris le cimetière de Souchez. Sur le flanc gauche, des tirailleurs Souchez constituent un bastion qui prend les assaillants d’enfilade puis à revers. Un bataillon doit y faire face tandis que les zouaves s’opposent à Neuville-Saint-Vaast. La division Blondlat s’immobilise dans un saillant de 2500 m de pourtour, contre lequel les Allemands lancent une série de contre-attaques qui sont brisées. L’une d’entre elles est même repoussée par un groupe entraîné par un aumônier armé de sa seule canne !

   A la tombée de la nuit, le 7ème tirailleurs et les légionnaires de la 1ère brigade renforcent leurs camarades. Le groupe des 60ème et 61ème bataillons de chasseurs est envoyé avec des éléments d’autres régiments pour relever la division marocaine soumise à un déluge de projectiles, parfois du 210 mm, tirés de la Folie, Givenchy et Neuville-Saint-Vaast. Mais, pour y parvenir, il faut traverser le profond ravin de Souchez balayé constamment par les mitrailleuses de Souchez et du Bois des Écouloirs.

   Le 21 juin, le bombardement augmente et le 22, dès 2 heures du matin, la 16ème division allemande passe à l’attaque. Les combats acharnés durent cinq jours et grâce à l’effort admirable des artilleurs, on peut croire un moment l’assaut allemand repoussé. Mais l’ennemi s’est infiltré à la base de la poche et menace de couper toute communication entre l’avant et l’arrière. Pour éviter le pire, Il est fait appel aux zouaves qui viennent d’arriver. Ils repartent, le colonel Modelon en tête.

   Aidés par une batterie de 58 de tranchée, ils réussissent à réduire l’infiltration. La poche peut être évacuée la nuit suivante. La division marocaine retirée du front d’Artois peut alors s’embarquer pour Montbéliard.

   Au soir du 18 juin, après deux jours de combat, sept officiers et 200 hommes ont été capturés.

   De son côté, le XXIème CA dépasse le Bois carré et, après deux jours de rudes combats, déloge l’adversaire du Fond de Buval et atteint le chemin d’Ablain - aux Cornailles. D’autre part, dégageant entièrement le pied de l’éperon de Souchez, il borde la route de Béthune.

   Le 22 juin, des éléments du VIème AK silésien (général von Putzelwitz) relèvent la 11ème DI (général von Webern) et, trois jours plus tard, la 12ème DI (général Charles de Beaulieu) s'installe : les 23 et 63 dans la région de Souchez et le 62 en bordure du Schlammulde. Le 7 juillet, dans la région de Souchez, le 23 est contraint d'abandonner sa position, mais parvient à en reprendre une partie à la suite d'une contre-attaque.

   Au IXème CA, les 17ème DI (général Guignabaudet) et 18ème DI (général Lefèvre) se sont élancées vers la cote 140, mais après quelques gains, sont contraintes, au prix de lourdes pertes, par la 5ème DI brandebourgeoise, à se replier sur le chemin des Pylônes et le cimetière de Souchez. Progressivement, le secteur s’organise : secteur effroyable où les combattants vivent au milieu des cadavres qui parfois leur servent de boucliers, voire même de caillebotis dans les tranchées toujours envahies par la boue, dans une atmosphère pestilentielle. Les bombardements ne diminuent pas de violence : le Cabaret rouge, le cimetière et le chemin des Pylônes sont les cibles des 150mm et 210mm et font l’objet de prises et reprises successives et nombreuses.

   Dans la nuit du 12 au 13 juillet, une avalanche d’obus toxiques s’abat sur le cimetière de Souchez, précédant une attaque d’abord jugulée par le 57ème bataillon de chasseurs, mais la nécropole est rapidement encerclée et reprise par l’ennemi. Une tentative, le 13 août, sur la gare de Souchez connaît aussi un échec.

   Le concept de percée est alors abandonné : désormais les objectifs seront limités et les attaques seront précédées de grosses préparations d’artillerie en profondeur et accompagnées de tirs nourris d’appui au plus près. Selon le témoignage d’un ancien combattant, certaines batteries de 75 mm ne disposaient, au cours de cette seconde phase de l’offensive, que de 24 coups par 24 heures.

   Des statisticiens estiment que les pertes françaises depuis avril s’élèvent à 143000 morts et 306000 évacués pour blessures ou maladies.

   

La grande offensive

Troisième phase

 

   Durant l’accalmie relative qui, à partir du 15 août, a succédé à ces trois mois de combats ininterrompus, les adversaires des premières lignes continuent à s’échanger obus de mortiers ou de crapouillots, grenades et fusillades. Cependant, les troupes gagnent à tour de rôle les cantonnements de repos situés à l’arrière, hors de portée de l’artillerie lourde. Elles y ont été recomplétées par de jeunes recrues incorporées et sommairement instruites dans les bases régimentaires de l’intérieur. Mais pour amalgamer ces jeunes avec les anciens rescapés des combats, il leur faut suivre ensemble les diverses séances d’instruction, d’apprentissage aux tirs et à la discipline ainsi que les préparations des prises d’armes pour les remises de décorations. Le problème des permissions n’est pas encore à l’ordre du jour.

   Au cours de cette période de repos relatif, le casque Adrian avec cimier et doublure en cuir est distribué à tous les combattants français qui perçoivent également la nouvelle tenue "bleu-horizon" de l'armée française avec bandes molletières.

   De son côté, le combattant allemand abandonne le casque à pointe pour le "Stahlhelm", casque d'acier enveloppant bien la tête. Sans aucune aspérité extérieure, il doit faciliter les ricochets.

   Voulant emporter la décision avant le retour de l’hiver, le grand quatier général estime le degré de préparation des troupes suffisant et déclenche une troisième offensive qui, jumelée avec une opération principale en Champagne, retiendra en Artois les divisions ennemies qui y sont déployées.

   La préparation débute le 18 septembre. Contrairement au bombardement frénétique du 9 mai, le pilonnage des carrefours, des boyaux, ouvrages et maisons est sans cesse suivi. Il s’agit d’écraser méthodiquement toutes les installations de l’adversaire. De savants calculs avaient estimé qu’en l’absence quasi-totale de canons lourds à tir rapide, un minimum de cinq jours ininterrompus était nécessaire pour obtenir le résultat escompté, le découragement des unités allemandes. 600 canons lourds et 1300 de 75 mm prennent part à cette œuvre de destruction. Mais l’effet de surprise ne joue plus : tandis que les occupants des premières lignes se replient, des troupes fraîches sont massées à proximité pour relever leurs camarades victimes des bombardements. D’autre part, 77, 150 et 210 effectuent une contre-préparation, bouleversant boyaux, parallèles de départs.

   L’ordre d’opérations confie toujours au XXXIIIème CA du général Fayolle, qui, depuis le 21 juin, remplace le général Pétain nommé à la tête de la 2ème armée, la mission de prendre la cote 140. La 77ème DI (général Pillot) doit enlever Souchez, franchir le ravin des Écouloirs et gravir la falaise, aidée par la 70ème DI (général Nadaud).

    Au nord de Souchez, le XXIème CA du général Maîstre, regroupant les 13ème DI (général de Martin de Bouillon qui remplace depuis juin le général Cadoudal) et la 43ème DI (général Lombart) et renforcé de la 81ème DIT (général Bajolle), attaquera sur la pente ouest du plateau de Lorette en direction de Angres.

   Au sud, le IIIème CA du général Mangin, composé des 6ème DI (général Jacquot) et 55ème DI de réserve (général Laporte d’Hust ) partant de Neuville-Saint-Vaast, devra s’emparer de la cote 140 et de la ferme de la Folie.

   Les troupes ont quitté les cantonnements de repos dans l’après-midi du 24 septembre et ont parcouru, tout le « barda » sur le dos, une vingtaine de kilomètres pour gagner les premières lignes. Massées dans les boyaux, elles reçoivent toute la matinée du 25 quantité d’obus qui éclaircissent leurs rangs.

   A 12 heures 25, les vagues d’assaut bondissent hors des bases de départ. Rapidement désunies par les cratères et crevasses qui s’ouvrent devant elles, elles progressent dans un déferlement infernal dans lequel les mitrailleuses ennemies créent des vides importants.

   La 43ème DI enlève l’ouvrage de la route d’Arras mais se trouve accrochée au bois en Hache.

   La 13ème DI emporte la halte de Souchez et la partie nord du village, puis la 26ème brigade, composée du 21ème et du 109 ème RI, pousse sur les pentes de Givenchy.

   La 70ème DI enlève de haute lutte le château de Carleul et la station toute proche puis la pente sud de Souchez, avant de s'engager vers le bois de Givenchy, en coordonnant son action avec la 13ème DI.

   La 77ème DI reprend le cimetière de Souchez, les ruines du Cabaret rouge, gagne le Ravin des Écouloirs et aborde la pente de la cote 140.

   Les deux divisions du XXXIIIème CA parviennent à prendre pied sur la cote 140 et dans les vergers de la ferme de la Folie. Pris à revers par des défenseurs ques, dans leur fougue, ils ont omis de neutraliser, ils sont, comme la seconde vague d'assaut, cloués au sol par des tirs de barrage effectués par des batteries dissimulées à contre-pente de la cote 140. Bientôt, une contre-attaque les contraint au repli.

   Les combats reprennent les jours suivants. De nouveaux efforts contre la cote 119, par les 60ème, 61ème, et 57ème bataillons de chasseurs de la 70ème DI aboutissent encore à de sanglants échecs contre la tranchée « de Brême », installée à contre-pente et donc restée intacte, dont les mitrailleuses balayent le glacis.

    Le IIIème CA, désormais commandé par le général Mangin et comprenant les 55ème DI (général Laporte d'Hust) et 6ème DI (général Jacquot), débouche de Neuville -Saint-Vaast) en direction de la Ferme de la Folie.

   La 55ème DI parvient cependant à prendre pied sur la cote 119 où elle est prise à partie par un ennemi replié dans le bois de Givenchy et non encore détecté, qui lui inflige des pertes importantes.
             

   Seule réserve disponible en raison du démarrage d'une autre offensive en Champagne, la 154ème DI du général Rabier est amenée de toute urgence de Ficheux à Souchez le 28. Aussitôt ses 41ème et 43 ème RIC s'élancent vers le bois de Givenchy qu'ils enlèvent puis relèvent la 55ème DI sur la cote 119, d'où ils peuvent couvrir les attaques des 13ème et 70ème DI. Elle s'y maintient jusque fin novembre. Après sa relève, elle est dirigée sur Lure.

   La 6ème DI (général Superbie), partant des Cinq chemins, coordonne son action avec celle de la 55ème DI et progresse de 1000 m en direction de la ferme de la Folie et parvient à la cote 14O. Mais les allemands ont acheminé d’importants renforts et accumulé de nombreuses pièces d’artillerie lourde qui, en plus des 77mm divisionnaires, sèment la mort et les destructions. Nos troupes qui comptent déjà quelque 40000 hommes hors de combat doivent abandonner les terrains conquis au prix d’efforts inouïs. Ils ne conservent que les ruines de Souchez tandis que le IIIème CA est repoussé aux lisières est de Neuville Saint-Vaast.

 

   2600 prisonniers, 9 canons et un grand nombre de mitrailleuses capturées, tel est le bilan de cette troisième offensive d’Artois.

   Le IXème CA relève alors dans leurs secteurs les XXIème et XXXIIIème CA pour leur permettre d’aller enfin se reposer et « se refaire ».

   Au cours des mois d'octobre 1915 à février 1916, la météo se montre encore moins clémente que l'année précédente. Dans les tranchées la boue remonte au-dessus des genoux et tout le secteur se transforme en une lourde pâte visqueuse qui engloutit caillebotis, boisages et sacs de terre amenés au prix de fatigants efforts et trempe les vêtements couverts d’une carapace de boue.

   Cependant, les forces en présence continuent à s’échanger grenades, obus, torpilles et gaz asphyxiants et à tenter épisodiquement des coups de main après explosion de mines pour tester la résistance de l’adversaire. La fureur des engagements décroît malgré tout et le froid provoque de nombreuses gelures et endémies, ce qui nécessite l'évacuation de ces handicapés vers les hôpitaux.

 

   On peut estimer les pertes des deux camps au cours de ces trois offensives d’Artois à 280 000 hommes.

   Durant cette saison hivernale, le général Foch a adressé au général en chef plusieurs notes tirant les leçons d’une année de grande offensive. Ainsi, le 10 novembre, il insiste sur l’insuffisance de pièces d’artillerie lourde et le manque de munitions pour la préparation et le soutien des offensives, la pénurie d’artillerie de tranchée et reproche à l’artillerie divisionnaire de ne pas appuyer au plus près ses unités. Il déplore l’inefficacité de nos appareils émetteurs de gaz et préconise la fabrication d’obus à gaz et leur emploi. Le 21 janvier, il remarque que « l’offensive doit être au total une série d’actions successives avec beaucoup d’artillerie et peu d’infanterie » et il ajoute que « cette forme de lutte pour l’avenir révèle la possibilité d’offensives larges et répétées, si l’on dispose de beaucoup de canons et de beaucoup de munitions ».

   L’attaque, le 21 février, du camp retranché de Verdun bouleverse les plans à peine ébauchés, une semaine plus tôt, au cours d’une conférence interalliée tenue au grand quartier général de Chantilly, pour une vaste offensive dans la Somme vers le 1er juillet.

   Les troupes britanniques relèvent leurs camarades français sur l'ensemble du front d'Artois pour leur permettre de gagner "l'enfer de Verdun" qui, selon un survivant nonagénaire, qui a connu les deux, "n'était rien à côté de celui de Lorette".